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Johnny Hallyday pouvait-il choisir ses héritiers ?

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La succession de la rock star a ouvert des débats sur le choix de ses héritiers. Gardons-nous d'appeler à une réforme de circonstance pour un cas particulier.
La succession de la rock star a ouvert des débats sur le choix de ses héritiers. Gardons-nous d'appeler à une réforme de circonstance pour un cas particulier.
La succession de Johnny Hallyday a enflammé les médias et troublé les Français. Il s'agit à la fois de mort, d'argent, de lien conjugal et parental concernant une vedette hors normes. L'opinion s'est divisée en deux camps, le premier prônant la liberté de chacun à disposer de ses biens, le second rejetant l'idée qu'un parent puisse déshériter totalement ses enfants.
Les juristes d'occasion ont eu tôt fait de traduire en proposition de réforme une telle actualité : faut-il, à l'image des Californiens, changer la loi pour mieux respecter la volonté, et donc la liberté de chacun, de disposer de ses biens ? Ou, au contraire, est-il préférable de continuer à protéger les familles, et notamment les enfants et les conjoints contre un vent de libéralisme qui oublierait les liens du sang ? Il me semble, en qualité de notaire praticien des successions, que ces commentaires égarent le public en simplifiant à l'excès le débat.

Plusieurs erreurs

- C'est une erreur de généraliser à partir d'un cas particulier, encore moins quand celui-ci est aussi exceptionnel que celui de la famille Hallyday. Les données de la succession de Johnny, en termes de ruptures conjugales et de différence d'âge des époux, sont devenues banales. Mais elles se doublent ici de changements de domicile national et fiscal. Il ne s'agit donc plus d'une affaire française puisqu'une des clefs du litige réside dans le choix de la loi nationale applicable. Or la France ne pourra pas, quel que soit son volontarisme, légiférer pour les autres pays ni empêcher les allers-retours de ses nationaux.
- C'est une erreur de céder à la facilité d'opposer des solutions théoriques quand chaque système juridique a ses règles et ses exceptions. La loi française consacre le droit des enfants à hériter, mais elle donne aux testateurs un espace significatif de liberté, et elle permet de réintégrer les libéralités consenties de leur vivant. La loi californienne privilégie la liberté, mais sous réserve que celle-ci ait été exercée à bon escient, c'est-à-dire qu'elle n'ait pas été entravée par un abus de faiblesse. Le pouvoir des tribunaux et la place de la contestation judiciaire sont inversement proportionnels à l'espace de liberté créé par la loi. Ce qui peut aboutir à des compromis assez voisins dans les deux systèmes.
- C'est une erreur de réformer sur la base de cas prétendus « scandaleux », car les lois de circonstance posent plus de problèmes qu'elles n'apportent de solutions. Fonder une réforme sur la victimisation ne fonctionne pas, concernant une nation composée de 66 millions d'histoires personnelles.
- C'est enfin une faute de déifier soit la liberté soit l'égalité pour résoudre des situations où la fraternité (dans notre sujet, l'alliance entre le sentiment et la raison) s'avère absente. La liberté absolue se heurte aux passions humaines, que les tribunaux peuvent être conduits à canaliser. L'égalité absolue est destinée à être contournée par des astuces dans un domaine où la souveraineté nationale est de moins en moins incontournable.
Inutile donc de légiférer à nouveau à la recherche de solutions idéales qui capituleront devant le réel. Nos règles actuelles confèrent des droits aux héritiers et une liberté au testateur . Elles répondent à un besoin bien réel aujourd'hui, au sein de sociétés où les recompositions, les ruptures et les compromis se multiplient : la réserve héréditaire permet en effet de maintenir la solidarité et la cohésion familiale en libérant les enfants des familles traditionnelles ou recomposées de la peur de tout perdre au moindre écart, et en empêchant les testateurs de tout casser pour un moment de colère ou de déception.
La réformite et la casuistique ne peuvent susciter que de l'opacité, de l'instabilité et des iniquités. « Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples », disait le général de Gaulle. Il doit en être de même pour les successions des hommes.
Tribune de Pascal Chassaing, président de la Chambre des Notaires de Paris, parue dans Les Echos.
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